La crise sanitaire actuelle du COVID 19 pourrait être à l’origine d’une récession économique sans précédent, selon les déclarations de la patronne du FMI, Kristalina Georgieva, qui avait prévenu, dès le 9 avril dernier : « cette pandémie aura les pires conséquences économiques depuis la Grande Dépression de 1929 » …
Si nous espérons tous une ampleur moindre que cette prédiction, la période de confinement a nourri les plus grandes inquiétudes des entrepreneurs, quelles que soient leurs types de structures notamment pour s’acquitter de leurs charges fixes durant la crise sanitaire.
La période de déconfinement sera également préoccupante puisque les commerçants s’interrogent légitimement sur la consistance de la reprise d’activité en sortie de crise.
Notamment, les restaurants et bars verront leur ouverture retardée de quelques semaines supplémentaires et leurs conditions d’accueil sans doute remaniées compte tenu des impératifs sanitaires.
La présente étude propose certaines solutions légales ouvertes aux entreprises pour anticiper ou endiguer ces difficultés, sans prétendre à l’exhaustivité.
Thématique 1- les loyers commerciaux :
1. Les loyers échus entre le 12 mars et le 10 septembre 2020 :
Le gouvernement a pris des dispositions par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 pour permettre aux entreprises bénéficiant du fonds de solidarité visés par une autre ordonnance (2020-317), de ne pas s’exposer aux sanctions consécutives à un non-paiement de loyers.
L’ordonnance échéances concernées sont celles qui interviennent entre le 12/03/2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Ce dernier a été prorogé jusqu’au 10 juillet 2020.
Sont donc concernés sauf modification décrétale, les loyers échus avant le 10 septembre 2020.
Comme indiqué supra, les bénéficiaires de ces mesures sont les entreprises bénéficiant du fonds de solidarité d’Etat, soit les TPE, indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales ayant un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros et un bénéfice imposable inférieur à 60.000 €.
Les entreprises concernées doivent également avoir fait l’objet d’une fermeture administrative, ou bien :
– Avoir subi une perte d’au moins 50% de chiffre d’affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019 (pour l’aide de mars),
– Avoir subi une perte d’au moins 50% de chiffre d’affaires en avril 2020 par rapport à avril 2019, ou par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen pour 2019 (pour l’aide d’avril).
Il est renvoyé aux dispositions du décret susvisé pour de plus amples détails sur ces conditions.
Attention, contrairement à bon nombre d’idées reçues ces dispositions ne permettent pas de reporter ou d’annuler ces échéances.
Il s’agit en fait d’une tolérance permettant au locataire de ne pas s’exposer à une sanction contractuelle liée au non-respect de l’échéance de loyer.
De ce fait, aucune pénalité financière, intérêt de retard, dommages-intérêts, astreinte, clause résolutoire (résiliation du bail), clause pénale, déchéance ou activation des garanties ou de cautions ne pourront être mis en œuvre en cas d’impayé.
En revanche, les bailleurs conservent la possibilité d’engager une action pour non-paiement de ces échéances, mais donc sans exposer les locataires à une résiliation de leur bail commercial.
L’invitation du ministre de l’économie Bruno Le Maire du 16 avril destinée aux bailleurs, d’annuler « 3 mois de loyers fermes pour lespetits commerces fermés » ne constituait qu’une simple demande gracieuse adressée aux propriétaires fonciers, et non pas une obligation pesant sur eux.
Les bailleurs commerciaux qui ne souhaitent donc pas répondre à cette invitation voire de convenir d’un étalement des règlements, conservent leur liberté d’action devant les Tribunaux aux fins de paiement.
Sur le plan pratique toutefois, une telle initiative se heurtait à la difficile tenue des audiences durant le confinement mais un contentieux massif pourrait apparaître dès la reprise de la vie judiciaire à l‘initiative de bailleurs désireux de recouvrer leur loyer, pour les échéances du 16 mars au 10 septembre.
Pour tenter d’y échapper, les locataires pourraient toutefois opposer à leur bailleur un manquement à son obligation de délivrance (article 1719 du Code civil ; Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière 1) De délivrer au preneur la chose louée), voire un manquement du bailleur à son obligation de laisser jouir paisiblement le preneur de la chose louée (paragraphe 3° du même article).
De même, les locataires pourraient utiliser l’exception de force majeure (article 1218 du code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ») pour échapper à ces loyers. Le caractère imprévisible, irrésistible et extérieur du covid 19 pourrait être opportunément étudié.
Nul doute que ces pistes de réflexion ne manqueront pas d’alimenter les Tribunaux dans les mois à venir.
2. Les loyers non visés par les mesures protectrices :
En revanche, que faire si les difficultés perdurent, si la trésorerie de l’entreprise n’est pas reconstituée ce qui l’empêcherait d’honorer ses échéances de loyers postérieures, voire antérieures à la période protégée ?Ou si l’entreprise ne bénéficie tout simplement pas du fonds de solidarité d’Etat ?
Dans ces hypothèses, outre son action aux fins de règlement des loyers, le bailleur retrouve sa liberté d’action en résiliation du bail.
Il adressera à cet effet un commandement de payer visant sa clause résolutoire.
Ce dernier aura un mois pour réagir :
1) Il réagit dans le délai d’un mois : soit en réglant le montant de sa dette dans ce délai, soit en formant une opposition au commandement par acte d’huissier dans ce même mois en saisissant le Tribunal judiciaire, pour contester le montant de la dette. Il invoquera par exemple une faute du bailleur pour des motifs indépendants de la crise sanitaire. En toutes hypothèses, il est fortement recommandé au locataire de faire appel à son avocat habituel en urgence à réception du commandement pour envisager la suite à donner à l’acte.
2) Le locataire ne réagit pas dans le délai d’un mois : les causes du commandement sont réputées acquises au bailleur sous réserve qu’elles soient constatées par un Juge. En d’autres termes, la résiliation du bail peut être actée par un Tribunal sous réserve que le propriétaire saisisse un Juge à cet effet, la dette locative ne pouvant plus être contestée.
Le bailleur saisira dans cette hypothèse le Juge des référés du Tribunal judiciaire pour faire constater les effets de la clause résolutoire.
Toutefois, le Code civil et le Code de commerce volent au secours du locataire commercial en lui permettant de demander au juge des délais de paiement afin de suspendre les effets de cette clause, et tenter d’éviter la résiliation.
L’article 1343-5 du Code civil dispose en effet : « le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues ».
Le Code de commerce (article L145-41) prévoit également que « les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge ».
Si le locataire sollicite le bénéfice de ces articles, le Juge des référés procèdera à une comparaison entre la situation du débiteur et les besoins du créancier en tenant compte, notamment, de la bonne foi du débiteur, de l’ancienneté de la dette, de la surface financière du créancier…
Ces délais peuvent consister en un report de paiement des sommes dues ou en un échelonnement dudit paiement, le report ou l’échelonnement dans la limite d’un délai de deux ans.
Les locataires victimes par ricochet de la crise sanitaire pourraient bénéficier de ces dispositions compte tenu du caractère conjoncturel de leurs difficultés, liées à une cause extérieure.
Le commerçant devra également démontrer ses aptitudes à rembourser le montant de sa dette selon le plan d’étalement présenté au Juge ainsi que les échéances courantes.
Il devra donc mettre en exergue sa capacité à rebondir dans les mois à venir, au besoin avec un comparatif avec les exercices antérieurs.
En revanche, si le locataire ne respecte pas une seule mensualité, il s’exposera à la résiliation du bail et à l’expulsion.
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En conclusion sur les loyers, des solutions seront ouvertes aux commerçants pour éviter de perdre leur outil d’exploitation constitué par leur local, à condition toutefois de ne pas laisser gangréner les difficultés, et de réagir à temps par les outils juridiques qui sont offerts.
Le cabinet Portaill & Bernard Avocats se tient à votre disposition pour toute interrogation ou demande de précision sur les points abordés.